Quelques éléments d’attention pour réagir à l’urgence migratoire
L’arrivée significative de réfugiés en Europe a provoqué une prise de conscience collective, médiatique, et a conduit le gouvernement à organiser une réponse française, avec l’aide des mairies. Dans le même temps, le pape François interpelle les paroisses et les ordres religieux en leur demandant, chacun d’accueillir une famille. Nos bénévoles s’interrogent sur ce qu’ils peuvent faire dans ce cadre, et sur ce que prévoit le Secours Catholique et la délégation.
Précisons, dans le vocabulaire, que la demande d’asile est une demande juridique de protection contre un danger grave couru dans le pays d’origine du migrant (pays en guerre, menace politique,…) qui, si elle est accordée, donne le statut de réfugié avec des droits (droit de séjour et à des papiers, droit au travail, allocation financière du RSA, accès au logement social). C’est le statut que demande tous les migrants. Mais il est soumis à un examen de l’OFPRA pour apprécier la réalité de la menace, examen long (18 mois jusqu’à présent), mais accéléré ces jours-ci à 2 mois pour les migrants de la filière des Balkans. Ceux qui sont déboutés de ce droit d’asile, notamment les migrants « économiques », n’ont aucun droit et doivent quitter le territoire français : ce sont bien sûr les plus précaires, en situation illégale, sans ressource.
L’équipe migrants de l’équipe d’Albi a une pratique ancienne de l’accueil de ces familles de migrants déboutées du droit d’asile, avec des menaces de reconduite aux frontières. La capacité d’accueil et d’accompagnement est limitée mais permet d’accueillir et de suivre une trentaine de personnes dans 8 appartements. Des paroisses aveyronnaises se sont mobilisées de même. Mais cette capacité limitée laisse aujourd’hui des familles avec enfants dans la rue, faute de solution.
Le Diocèse d’Albi s’est mobilisé depuis un an pour l’accueil des familles chrétiennes d’Irak, ayant d’entrée de jeu un accueil administratif privilégié et, rapidement (deux mois), le statut de réfugié qui donne accès au RSA et au droit de travailler. L’accueil actuellement développé par les pouvoirs publics portent sur une population de ce deuxième type, répartie après obtention du droit d’asile.
Ces deux expériences nous amènent à vous proposer une grille de questions à se poser pour discerner ce qu’il convient de faire en tant qu’équipe locale du SCCF et avec quels partenariats.
1. La question de la durée
Concernant les déboutés du droit d’asile, l’accueil et l’accompagnement nécessitent un engagement sur le temps long, notamment pour obtenir des papiers et la possibilité de séjour, mais aussi pour que la famille acquière toute l’autonomie nécessaire pour quitter le dispositif d’hébergement (autonomie financière, maîtrise de la langue, intégration culturelle dans le pays en comprenant les règles sociales et les codes culturels). Ce temps long se compte en années, trois étant peut-être un chiffre minimum observé, avec des situations qui durent bien plus longtemps.
L’investissement dans ce temps long doit donc être posé pour :
La disponibilité du logement proposé,
L’accompagnement par une équipe de bénévoles fortement sollicitée,
Le coût des aides apportées dans l’attente d’une autonomie financière.
Concernant les chrétiens d’Irak, bénéficiant du statut de réfugié, avec le RSA deux mois après leur arrivée en France, admis au GRETA au bout de 5-6 mois avec n programme de 100 à 200 heures de cours de Français sur une année et qui dans les mêmes délais, avec l’APL, vont pouvoir bénéficier d’un logement social, le cheminement vers l’autonomie sera bien plus court de l’ordre donc de l’année, même si l’accompagnement socio culturel devra se prolonger bien au-delà.
2. La qualité du logement proposé
Sur le plan du confort, il faut se poser la question de l’adaptation de la taille du logement à celle de la famille. Bien entendu, il faut refuser un logement insalubre, mal isolé au risque d’entrainer des frais de chauffage déraisonnables, inaccessibles dans des étages supérieurs,…
La question du chauffage est une question piégeuse, car nos contrées peuvent être froides en demi saison et en hiver, et les familles accueillies habituées à un climat plus chaud. Par ailleurs, l’expérience montre que la régulation de la température par un thermostat n’est pas toujours comprise…
Sur le plan du coût, l’expérience du Secours Catholique est celle de logements prêtés (par des particuliers, des paroisses, le diocèse) ou loués auprès de particuliers pour un loyer raisonnable. Mais le coût du logement comporte, outre le loyer, les taxes locales, les fluides (eau, électricité, gaz) qui doivent être budgétisés dans la durée. D’où une réflexion sur la façon de les financer (aide sociales, actions solidaires avec engagement financier régulier, participation de la famille accueillie…).
3. L’accessibilité par les transports en commun
Les besoins de déplacement des migrants sont importants pour les démarches administratives (notamment en préfecture, en consulat…), pour la santé (CPAM, CAF, hôpital, médecin, dentiste…), pour l’accès aux aides (épiceries sociales, assistantes sociales, pôle emploi, mouvements caritatifs,…).
La question doit être donc regardée en même temps que la recherche d’un logement : un logement dans un hameau en campagne va générer des besoins importants de covoiturage ou de taxi en l’absence de bus. Ce besoin doit être assuré, garanti dans la durée ce qui nécessite un nombre de bénévoles suffisant pour ne pas les épuiser A contrario, un logement en centre ville, desservi par des bus, proche d’une gare, bénéficiant de possibilité de transport à la demande, va donner de l’autonomie à la famille accueillie et soulager l’équipe de bénévoles).
Se poser donc la question des différents types de déplacements à prévoir et à assurer compte tenu des trajets correspondants et de l’existence ou non de moyens de transport pour les assurer (aussi de leur fréquence, du service en fin de semaine, du coût…).
4. L’accompagnement
L’accompagnement repose sur une grande disponibilité (à répartir sur plusieurs bénévoles pour ne pas conduire à leur épuisement), mais aussi sur une technicité et des compétences, notamment :
Dans le domaine administratif et juridique, éventuellement avec l’appui de professionnels (avocat,…) pour obtenir tout ce à quoi la famille a droit, pour monter les dossiers, accompagner au guichet en mairie, à la préfecture, à la sécurité sociale,
Dans le domaine linguistique pour pouvoir communiquer (personne disponible pour faire le traducteur, apprentissage du français langue étrangère),
Dans le domaine socio-culturel pour faciliter la compréhension des codes de fonctionnements, souvent implicites de la société française,
Pour l’établissement de liens fraternels,
Pour les besoins spirituels,
Dans la recherche d’emploi
Etc.
5 – Les coûts
On a déjà évoqué le coût du logement, mais des aides diverses s’avèrent nécessaires dans l’attente d’une autonomie financière. Sur Albi, le Secours Catholique soutient chaque famille à hauteur environ de 1 200 €. Là encore des bénéficiaires du statut de réfugié ont rapidement leur autonomie financière. Réfléchir donc au financement à mobiliser, dans la durée, suivant le statut de la famille.
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Un travail en équipe
Par rapport à l’accueil d’une famille, ces questions sont à se poser en amont. Leur énoncé milite pour un travail en partenariat, avec mutualisation de réseaux, de moyens, de compétences, pour pouvoir assurer l’accueil dans le temps long d’une à plusieurs années.
Le Pape François invite les paroisses et les communautés religieuses à accueillir les familles, il paraît important de se tourner vers elles pour les sensibiliser et les aider à répondre à cet appel en rassemblant, autour d’elles, toutes les bonnes volontés. De leur côté, les communes se mobilisent, avec l’aide de État, et le Secours Catholique peut participer à un collectif, apportant sa pierre, son expérience, sa disponibilité au service du projet. Cela dit, le Secours Catholique n’a pas vocation, dans le contexte actuel, à en assurer le leadership.
Demain, la famille migrante étant là, l’équipe se mobilisera, outre sur les besoins spécifiques évoqués ci-dessus, comme pour toute famille accueillie, pour l’aider, l’associer, l’accompagner.
Patrick Garnier
Président
Délégation Tarn Aveyron
11 septembre 2015